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posté le 11-05-2008 à 21:39:52

ALAIN : la force et la justice

La force semble être l'injustice même ; mais on parlerait mieux: en disant que la force est étrangère à la justice ; car on ne dit pas qu'un loup est injuste. Toutefois le loup raisonneur de la fable est injuste, car il veut être approuvé; ici se montre l'injustice, qui serait donc une pré­tention d'esprit. Le loup voudrait que le mouton n'ait rien à répondre, ou tout au moins qu'un arbitre permette ; et l'arbitre, c'est le loup lui­-même. Ici les mots nous avertissent assez ; il est clair que la justice relève du jugement, et que le succès n'y fait rien. Plaider, c'est argumenter. Rendre justice, c'est juger. Peser des raisons, non des forces. La pre­mière justice est donc une investigation d'esprit et un examen des raisons. Le parti pris est par lui-même injustice; et même celui qui se trouve favorisé, et qui de plus croit avoir raison, ne croira jamais qu'on lui a rendu bonne justice à lui tant qu'on n’a pas rendu bonne justice à l'autre, en examinant aussi ses raisons de bonne foi. ­


Alain : Les Passions et la Sagesse

 


 
 
posté le 11-05-2008 à 21:38:16

ALAIN : Définition



Qu'est-ce que le droit ? C'est l'égalité. Dès qu'un contrat enferme quelque inégalité, vous soupçonnez aussitôt que ce contrat viole le droit...

Le droit règne là où le petit enfant qui tient son sou dans sa main et regarde avidement les objets étalés se trouve l'égal de la plus rusée ménagère. ­

On voit bien ici comment l'état de droit s'opposera au libre jeu de la force. Si nous laissons agir les puissances, l'enfant sera certainement trompé ; même si on ne lui prend pas son sou par force brutale, on lui fera croire sans peine qu'il doit échanger un vieux sou contre un centime neuf(1) . C'est contre l'inégalité que le droit a été inventé. Et les lois justes sont celles qui s'ingénient à faire que les hommes, les femmes, les enfants, les malades, les ignorants soient tous égaux. Ceux qui disent contre­ le droit, que l'inégalité est dans la nature des choses, disent donc des pauvretés. .. ­

(1) un sou valait 5 centimes

ALAIN : Définitions



 


 
 
posté le 11-05-2008 à 21:36:43

ALAIN : la force et le droit


La force semble être l'injustice même; mais on parlerait mieux en disant que la force est étrangère à la justice; car on ne dit pas qu'un loup est injuste. Toutefois le loup raisonneur de la fable est injuste, car il veut être approuvé; ici se montre l'injustice, qui serait donc une pré­tention de l'esprit. Le loup voudrait que le mouton n'ait rien à répondre, ou tout au moins qu'un arbitre permette; et l'arbitre, c'est le loup lui-­même. Ici les mots nous avertissent assez ; il est clair que la justice relève du jugement, et que le succès n'y fait rien. Plaider, c'est argumenter. Rendre justice, c'est juger. Peser des raisons, non des forces. La pre­mière justice est donc une investigation d'esprit et un examen des raisons. Le parti pris est par lui-même injustice; et même celui qui se trouve favorisé, et qui de plus croit avoir raison, ne croira jamais qu'on lui a rendu bonne justice à lui tant qu'on n'a pas fait justice à l'autre, en examinant aussi ses raisons de bonne foi; de bonne foi, j'entends en leur cherchant toute la force possible, ce que l'institution des avocats réalise passablement.

Alain



 


 
 
posté le 11-05-2008 à 21:20:20

ALAIN : contre le Freudisme

Le freudisme, si fameux, est un art d'inventer en chaque homme un animal redoutable, d' après des signes tout à fait ordinaires; les rêves sont de tels signes; les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d'où un symbolisme facile. Freud se plaisait à montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont tout ce qu'il y a d'indirect. Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision : ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par là que ce genre d'instinct offrait une riche interprétation. L'homme est obscur à lui-même; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'in conscient est un autre Moi; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous sinon par l'unique sujet, Je; cette remarque est d'ordre moral [...]

L'inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps; de le traiter comme un semblable , comme un esclave reçu en héritage et dont il faut s'arranger., L'inconscient est une méprise sur le Moi, c'est une idolâtrie du corps. On a peur de son inconscient : là se trouve logée la faute capitale.

Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. L'hérédité est un fantôme du même genre. «Voilà mon père qui se réveille; voilà celui qui me conduit. Je suis par lui possédé». [...]

En somme, il n'y a pas d'inconvénient à employer couramment le terme d'inconscient ; c'est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l'erreur; et, bien pis, c'est une faute.

Alain, Éléments de philosophie, coll. Idées, Gallimard, p. 14






 




 


 
 
posté le 11-05-2008 à 21:18:38

ALAIN L'artiste et l'atisan



Il reste à dire maintenant en quoi l'artiste diffère de l'artisan. Toutes les fois que l'idée précède et règle l'exécution, c'est industrie. Et encore est-il vrai que l'œuvre souvent, même dans l'industrie, redresse l'idée en ce sens que l'artisan trouve mieux qu'il n'avait pensé dès qu'il essaye; en cela il est artiste, mais par éclairs. Toujours est-il que la représentation d'une idée dans une chose, je dis même d'une idée bien définie comme le dessin d'une maison, est une œuvre mécanique seule­ment, en ce sens qu’une machine bien réglée d'abord ferait l’œuvre à mille exemplaires. Pensons maintenant au travail du peintre de portrait; il est clair qu'il ne peut avoir le projet de toutes les couleurs qu'il emploiera à l'œuvre qu'il commence; l'idée lui vient à mesure qu'il la fait; il serait même rigoureux de dire que l'idée lui vient ensuite, comme au spectateur, et qu'il est spectateur aussi de son œuvre en train de naître. Et c’est le propre de l’artiste. Il faut que le génie ait la grâce de nature, et s'étonne lui-même. Un beau vers n'est pas d'abord en projet, et ensuite fait; mais il se montre beau au poète ; et la belle statue se montre belle au sculpteur à mesure qu'il la fait; et le portrait naît sous le pinceau. (…)

(...) Ainsi la règle du beau n'apparaît que dans l'œuvre, et y reste prise, en sorte qu'elle ne peut servir jamais, d'aucune manière, à faire une autre œuvre.


ALAIN Système des beaux-arts

Gallimard, Paris 1926


 


Commentaires

 

1. KAFF  le 09-08-2010 à 09:40:22  (site)

Système des beaux-arts peut-être, mais jusqu'à quand ? poils aux dents !

 
 
 
 

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