Le freudisme, si fameux, est un art d'inventer en chaque homme un animal redoutable, d' après des signes tout à fait ordinaires; les rêves sont de tels signes; les hommes ont toujours interprété leurs rêves, d'où un symbolisme facile. Freud se plaisait à montrer que ce symbolisme facile nous trompe et que nos symboles sont tout ce qu'il y a d'indirect. Les choses du sexe échappent évidemment à la volonté et à la prévision : ce sont des crimes de soi, auxquels on assiste. On devine par là que ce genre d'instinct offrait une riche interprétation. L'homme est obscur à lui-même; cela est à savoir. Seulement il faut éviter ici plusieurs erreurs que fonde le terme d'inconscient. La plus grave de ces erreurs est de croire que l'in conscient est un autre Moi; un Moi qui a ses préjugés, ses passions et ses ruses; une sorte de mauvais ange, diabolique conseiller. Contre quoi il faut comprendre qu'il n'y a point de pensées en nous sinon par l'unique sujet, Je; cette remarque est d'ordre moral [...]
L'inconscient est donc une manière de donner dignité à son propre corps; de le traiter comme un semblable , comme un esclave reçu en héritage et dont il faut s'arranger., L'inconscient est une méprise sur le Moi, c'est une idolâtrie du corps. On a peur de son inconscient : là se trouve logée la faute capitale.
Un autre Moi me conduit qui me connaît et que je connais mal. L'hérédité est un fantôme du même genre. «Voilà mon père qui se réveille; voilà celui qui me conduit. Je suis par lui possédé». [...]
En somme, il n'y a pas d'inconvénient à employer couramment le terme d'inconscient ; c'est un abrégé du mécanisme. Mais, si on le grossit, alors commence l'erreur; et, bien pis, c'est une faute.
Alain, Éléments de philosophie, coll. Idées, Gallimard, p. 14