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posté le 11-05-2008 à 21:45:24

alain : vérité et mensonge



Le mensonge consiste à tromper, sur ce qu'on sait être vrai, une personne à qui l'on doit cette vérité-là. Le mensonge est donc un abus de confiance; il suppose qu'au moins implicitement on a promis de dire la vérité. A quelqu'un qui me demande son chemin, il est implicite que je dois cette vérité-là ; mais non pas

s'il me demande quels sont les défauts d'un de mes amis. Le juge lui-même admet qu'on ne prête point serment, si on est l'ami, l'employeur ou l'employé de l'inculpé. Et il peut être de notre devoir de refuser le serment (un prêtre au sujet d'une confession). Seulement refuser le serment c'est quelquefois avouer. Il faudrait alors jurer, et puis mentir? Telles sont les difficultés en cette question, que les parents, les précepteurs et les juges ont intérêt à simplifier.


ALAIN



 


 
 
posté le 11-05-2008 à 21:44:29

ALAIN / L4OPINIONCOMMUNE




Chacun a pu remarquer, au sujet des opinions communes, que chacun les subit et que personne ne les forme. Un citoyen, même avisé et énergique quand il n'a à conduire que son propre destin, en vient naturellement et par une espèce de sagesse à rechercher quelle est l'opinion dominante au sujet des affaires publiques. "Car, se dit-il, comme je n'ai ni la prétention ni le pouvoir de gouverner à moi tout seul, il faut que je m'attende à être conduit; à faire ce qu'on fera, à penser ce qu'on pensera." Remarquez que tous raisonnent de même, et de bonne foi. Chacun a bien peut-être une opinion; mais c'est à peine s'il se la formule à lui-même; il rougit à la seule pensée qu'il pourrait être seul de son avis.

Le voilà donc qui, honnêtement, écoute les orateurs, lit les journaux, enfin se met à la recherche de cet être fantastique que l'on appelle l'opinion publique. "La question n’est pas de savoir si je veux ou non faire la guerre." Il interroge donc le pays. Et tous les citoyens interrogent le pays, au lieu de s'interroger eux-mêmes.

Les gouvernants font de même, et tout aussi naïvement. Car, sentant qu'ils ne peuvent rien tout seuls, ils veulent savoir où ce grand corps va les mener. Et il est vrai que ce grand corps regarde à son tour vers le gouvernement, afin de savoir ce qu'il faut penser et vouloir. Par ce jeu, il n’est point de folle conception qui ne puisse quelque jour s’imposer à tous, sans que personne pourtant l'ait jamais formée de lui­-même et par libre réflexion. Bref, les pensées mènent tout, et personne ne pense. D'où il résulte qu'un Etat formé d'hommes raisonnables peut penser et agir comme un fou. Et ce mal vient originairement de ce que personne n'ose former son opinion par lui-même ni la maintenir éner­giquement, en lui d'abord, et devant les autres aussi.

ALAIN : Eléments de philosophie



 


 
 
posté le 11-05-2008 à 21:43:30

ALAIN : définition de la philosophie

Le mot Philosophie, pris dans son sens le plus vulgaire, enferme l'essentiel de la notion. C'est, aux yeux de chacun, une évaluation exacte des biens et des maux ayant pour effet de régler les désirs, les ambitions, les craintes et les regrets. Cette évaluation enferme une connaissance des choses, par exemple s'il s'agit de vaincre une superstition ridicule ou un vain présage; elle enferme aussi une connaissance des passions elles-mêmes et un art de les modérer. Il ne manque rien à cette esquisse de la connaissance philosophique. L'on voit qu'elle vise toujours à la doctrine éthique, ou morale, et aussi qu'elle se fonde sur le jugement de chacun, sans autre secours que les conseils des sages. Cela n'enferme pas que le philosophe sache beaucoup, car un juste sentiment des difficultés et le recensement exact de ce que nous ignorons peut être un moyen de sagesse ; mais cela enferme que le philosophe sache bien ce qu'il sait, et par son propre effort. Toute sa force est dans un ferme jugement, contre la mort contre la maladie, contre un rêve, contre une déception. Cette notion de la philosophie est familière à tous et elle suffit.

Alain, Eléments de philosophie (1916)

collection Idées Éd. Gallimard, 1985, pp. 21-22


 


Commentaires

 

1. samad  le 13-03-2014 à 15:54:31

mai on cnste k c nes tt l text

 
 
 
posté le 11-05-2008 à 21:42:28

ALAIN : morale et société

Je dis que le respect de la vie d'autrui n'est pas un devoir social, attendu qu'il existe indépendamment de l' existence ou de la natu­re d'une société quelconque. Quand un homme tomberait de la lune, vous n'auriez pas le droit de le torturer ni de le tuer. De même pour le vol ; je m'interdis de voler qui que ce soit; j'ai la ferme volonté d'être juste et charitable envers mes semblables, et non pas seulement envers mes concitoyens ; et je rougirais d'avoir augmenté injustement la note à payer, qu'il s'agisse d'un Chinois ou d'un nègre. La société n'a donc rien à faire ici ; elle ne doit pas être considérée.

Ou alors, si je la considère, qu'exige-t-elle de moi, au nom de la soli­darité ? Elle exige que j'approuve en certains cas le vol, l'injustice, le mensonge, la violence, la vengeance, en deux mots, les châtiments et la guerre. Oui, la société, comme telle, ne me demande que de mau­vaises actions. Elle me demande d'oublier pour un temps les devoirs de justice et de charité, seulement elle me le demande au nom du salut public, et cela vaut d'être considéré. C'est pourquoi je veux bien que l'on traite de la morale sociale, à condition qu'on définisse son objet ainsi : étude réfléchie des mauvaises actions que le salut public ou la raison d'état peut nous ordonner d'accomplir.

Alain,« Propos du 10 décembre 1925» in Propos, I, Éd. Gallimard, 1956.




 


 
 
posté le 11-05-2008 à 21:40:54

ALAIN : liberté et déterminisme


On peut prédire ce qui arrivera dans un système clos, ou à peu près clos, par exemple dans un calorimètre, dans un circuit électrique, dans le système solaire, si l'on considère les positions des astres seulement. Non seulement un ensemble de causes ou de conditions détermine rigoureusement un ensemble d'effets, mais encore le travail ou, comme on dit, l'énergie, qui comprend aussi le travail moléculaire supposé, se retrouve dans l'effet en quantité égale, quelles que soient les transformations. Par exemple la chute d'une certaine masse, depuis une certaine hauteur, se traduira toujours par la même vitesse à l'arrivée, et le choc, s'il transforme en chaleur ce travail accumulé, fondra toujours le même poids de glace à zéro.(…) Il est donc inévitable qu'un esprit exercé aux sciences étende encore cette idée déterministe à tous les systèmes réels, grands ou petits.


Ces temps de destruction mécanique ont offert des exemples tragiques de cette détermination par les causes sur lesquels des millions d'hommes ont réfléchi inévitablement. Un peu moins de poudre dans la charge, l'obus allait moins loin, j'étais mort. L'accident le plus ordinaire donne lieu à des remar­ques du même genre ; si ce passant avait trébuché, cette ardoise ne l'aurait point tué. Ainsi se forme l'idée déterministe populaire, moins rigoureuse que la scientifique, mais tout aussi raisonnable. Seulement l'idée fataliste s'y mêle, on voit bien pourquoi, à cause des actions et des passions qui sont toujours mêlées aux événements que l'on remarque. On conclut que cet homme devait mourir là, et que c'était sa destinée, ramenant ainsi en scène cette opinion de sauvage que les précautions ne servent pas contre le dieu, ni contre le mauvais sort. Cette confusion est cause que les hommes peu instruits acceptent volon­tiers l'idée déterministe ; elle répond au fatalisme, superstition bien forte et bien naturelle comme on l'a vu.



Ce sont pourtant des doctrines opposées ; l'une chasserait l'autre si l'on regardait bien. L'idée fataliste c'est que ce qui est écrit ou prédit se réalisera quelles que soient les causes ; les fables d'Eschyle tué par la chute d'une maison, et du fils du roi qui périt par l'image d'un lion nous montrent cette superstition à l'état naïf. Et le proverbe dit de même que l'homme qui est né pour être noyé ne sera jamais pendu. Au lieu que, selon le déterminisme, le plus petit changement écarte de grands malheurs, ce qui fait qu'un malheur bien clairement prédit n'arriverait point. Mais on sait que le fataliste ne se rend pas pour si peu. Si le malheur a été évité, c'est que fatalement il devait l'être. Il était écrit que tu guérirais, mais il l'était aussi que tu prendrais le remède, que tu demanderais le médecin, et ainsi de suite. Le fatalisme se transforme ainsi en un déterminisme théologique ; et l'oracle devient un dieu parfaitement instruit, qui voit d'avance les effets parce qu'il voit aussi les causes. Il reste à disputer si c'est la bonté de Dieu ou sa sagesse qui l'emportera. Ces jeux de paroles sont sans fin (…)

Alain : Eléments de philosophie

 


 
 
 

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